« Espèce de retraité », voilà une nouvelle* injure qui pourrait vous envoyer derrière les barreaux pendant de longs mois. Si au Gabon le mot « chômeur » est utilisé par les internautes pour offenser leur interlocuteur, « retraité » est désormais considéré, lui aussi, comme une grossièreté et passible de prison si la victime décide de porter plainte, a-t-on appris cette semaine de Patrick Ossi Okori, Directeur Général de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS).

Les fonctionnaires gabonais ont des troubles d’angoisse à l’approche de l’âge de la retraite. Ils craignent surtout le fait d’être traités comme une « racaille » atteinte de « démence sénile ». Selon la régionalisation linguistique du mot « retraité », le dictionnaire gabonais le définit désormais comme : « esclave affranchi et reconverti dans la mendicité » en guise de récompense pour le service rendu à la nation. Une injure du point de vue de la nouvelle loi.

Les travailleurs en service ont même perdu leur fâcheuse habitude de narguer les chômeurs parce qu’ils savent tous qu’ils finiront un jour « retraité », retiré de monde professionnel et certainement de la société. Au Gabon, c’est deux fois pire que toutes les formes de chômage. Un chômeur est une personne diplômée ou qualifiée en âge de travailler et qui est à la recherche d’opportunités professionnelles alors qu’un retraité est une « ressource humaine surexploitée par son employeur et rejetée après épuisement de sa force de travail tel un déchet toxique pour polluer la société ». Tout son jus a été pressé pendant ses années de service sans grande grande reconnaissance en contrepartie.

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Chaque mois, les retraités battent le bitume sous un soleil agnangoulé ou sous une pluie torrentielle pour réclamer non seulement le fruit de leurs efforts épargnés pendant les années de service, mais aussi pour la restauration de leur dignité. Aujourd’hui, l’expression « retraité maltraité » est un pléonasme et « retraité honoré » quant à lui, est un oxymore. Le Directeur Général de la CNSS a déclaré que son service fonctionne désormais avec les prêts par intérêt appelés communément « la roue ». Diantre ! Comment est-on arrivé là ?

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Certaines sources révèlent que les premiers travailleurs à la création de CNSS ont cotisé pour leurs propres retraites et lorsqu’ils sont devenus retraités — ce n’était pas encore une injure à cette époque — ils n’ont fait que récupérer l’argent qu’eux-mêmes ont cotisé. « En vérité, la machine est bloqué parce que l’argent est détourné », affirme une fonctionnaire du service public inquiète pour l’avenir.

À cela s’ajoute « les effectifs pléthoriques de la CNSS, les salaires mirobolants des cadres, les détournements des directeurs généraux qui se sont succédé à la tête de l’institution, le mauvais choix d’investissement sur les dix (10) dernières années ». Cette gestion scabreuse a des conséquences immédiates qui perdurent à long terme. La première conséquence a été la modification du système de paiement des pensions et retraites.

Aujourd’hui, le système de retraite repose essentiellement sur le principe de répartition et de solidarité entre les générations. Les cotisations des actifs actuels paient les pensions de retraite des retraités actuels. Et lorsque l’actif devient à son tour retraité, sa pension est financée par les cotisations des actifs nouveaux. Ce qui revient à faire comprendre à certains acteurs économiques l’importance de reverser effectivement les cotisations (part salariale et part patronale) à la CNSS.

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« La CNSS, par le biais de sa structure de recouvrement, doit œuvrer avec fermeté afin de recouvrir toutes ses créances auprès des entreprises qui leur doivent. Enfin, si le taux de chômage pouvait également diminuer il y aurait plus d’actifs qui cotiserait plus », suggère Davy Mamboundou, ancien Comptable à la PostBank.

Par ailleurs, certains opérateurs économiques privés ayant des accointances avec des hauts cadres de l’appareil étatique ne paieraient pas leurs cotisations fragilisant ainsi le fonctionnement de la CNSS et précipitant le départ vers l’au-delà de certains retr**tés plus vulnérables financièrement.