Déjà affaibli, le journalisme en Afrique est plus vulnérable que jamais avec la crise sanitaire. Reporters agressés et arrêtés, médias fragilisés par la désinformation, lois liberticides, chute des revenus des journalistes … Depuis la survenance de la pandémie, Reporters Sans Frontières (RSF) a enregistré trois fois plus d’arrestations et d’agressions de journalistes en Afrique subsaharienne que sur la même période un an plus tôt. De nombreux pays, y compris les démocraties les plus avancées du continent, ont eu recours à la force et à la loi pour empêcher les journalistes de travailler. C’est le Gabon qui défraie la chronique.

En effet, la mésaventure de l’animatrice ivoirienne Yann Bahou émaillée de moments de tension et de rappels à l’ordre à l’aéroport de Libreville ne cesse d’alimenter les discussions dans la sphère médiatique. Cette affaire rocambolesque, loin d’être singulière, relance le débat sur la fameuse autorisation d’entrée sur le sol gabonais délivrée par la Direction Générale de la Documentation et de l’Immigration (DGDI) aux professionnels des médias étrangers.

Depuis environ cinq ans, « Tout journaliste (homme de média) étranger désirant se rendre au Gabon doit obligatoirement avoir une autorisation d’entrée délivrée par la Direction Générale de la Documentation et de l’Immigration. Sinon, à son arrivée à l’aéroport, le ou la journaliste (homme de média étranger, car le code de la Communication, et la loi gabonaise, ne distinguent pas spécifiquement le journaliste de l’animateur) est maintenu en zone de départ, puis remis dans le prochain vol vers son sa destination de départ », argumente Freddhy Koula, journaliste sportif gabonais sans toutefois indiquer avec exactitude la référence du texte.

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Cependant, l’hostilité des autorités gabonaises à l’endroit des journalistes étrangers ne date pas seulement de l’entrée en vigueur dudit texte. Le 7 février 2008, Repé Kabamba, un journaliste indépendant congolais a été arrêté par les agents de la Direction Générale de la Contre-ingérence, plus connue sous le nom de « B2 » alors qu’il se rendait dans une entreprise dans le cadre d’une enquête sur la gestion de l’Office des Ports et des Rades du Gabon (OPRAG). Il avait reçu, quelques jours auparavant, certains documents mettant en cause Jean-Pierre Oyiba dans des malversations financières.

« Repé Kabamba avait sollicité une audience auprès de Jean-Pierre Oyiba pour vérifier ses informations. Arrivé au lieu de rendez-vous, Repé Kabamba a été interpellé par des agents de la Direction Générale de la Contre-ingérence, dont le Directeur Général n’est autre que le frère de Jean-Pierre Oyiba », avait dénoncé l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF).

Plus récemment en janvier 2019, au lendemain du coup d’état manqué du lieutenant Kelly Ondo, Carine Frenk, reporter au service Afrique de Radio France Internationale (RFI) et son technicien ont été refoulés manu militari faute d’autorisation d’entrée alors qu’elle venait couvrir les évènements suivants le putsch et l’urgence de l’actualité ne pouvait attendre. Mêmes péripéties vécues à l’Aéroport International Léon Mba de Libreville par une équipe de reporters du groupe britannique BBC en provenance de Kinshasa, en République Démocratique du Congo.

« Lorsqu’on appartient à un média étranger, même si on vient en visite privée au Gabon, la loi (?) vous oblige à demander une autorisation d’entrée. L’autorisation d’entrée sur le territoire gabonais, en dehors du visa, est donc délivrée par la DGDI après validation du Ministère de la Communication. C’est une des lois phares de Bilie-By Nze, Ministre de la Communication [d’alors, NDLR]. Dans le fond, c’est pour mieux contrôler les entrées et les sorties des hommes de médias et éviter des reportages ou documentaires qui dégradent l’image du Gabon », renchérit Freddhy Koula pour tenter de justifier l’attitude de la Police de l’Air et des Frontières (PAF) le 14 septembre 2021 à l’aéroport de Libreville.

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Les services de la DGDI indiquent que « Pour obtenir une autorisation d’entrée, y compris dans le cadre d’une visite familiale, la demande doit être effectuée par l’hôte au Gabon auprès de la Direction Générale de la Documentation et de l’Immigration à Libreville. Le visiteur doit présenter une copie de la demande à l’embarquement, au départ de l’aéroport. Elle est ensuite échangée, à l’arrivée au Gabon, contre l’autorisation d’entrée. »

Aussi, précisent-ils « Au même titre que pour les visas délivrés dans le pays de provenance, il est recommandé, pour les autorisations d’entrée, que les répondants locaux (familles ou entreprises) soient présents à l’aéroport, lors de l’arrivée des personnes attendues, munis des documents originaux du dossier, dans le cas où ceux-ci n’ont pas pu leur être envoyés avant leur départ. » Un long protocole à suivre avec le risque que votre demande d’autorisation d’entrée ne soit pas acceptée. Ce qui constitue à bien des égards, une entrave à la liberté de la presse.

Toutes ces mesures ont été renforcées depuis la publication sur les chaînes de télévision étrangères, principalement européennes, d’un reportage sur les enfants déscolarisés du Gabon qui se nourrissent à la décharge de Mindoubé. Ainsi, pour combattre significativement la pauvreté, il faut la cacher au monde, le gouvernement a mieux pensé. Il faut mettre un rideau blanc sur les tas d’immondices pour camoufler la misère. Moins on parle de la pauvreté, moins elle ne sévit, philosophent-ils

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La liste des documents à fournir pour l’établissement d’une autorisation d’entrée sur le sol gabonais en tant que journaliste étranger est très complexe. Il faut, entre autres, une demande adressée à l’institution émettrice, une copie du passeport, une photo d’identité, un ordre de mission précisant le travail à effectuer et surtout toutes les administrations avec lesquelles le journaliste souhaite travailler et la liste du matériel utilisé ou à faire entrer au Gabon. Des conditions que pourraient exiger seulement des pays instables politiquement qui souhaitent filtrer les entrées aux frontières.

Toutes ces conditions remplies, l’administration n’a malheureusement aucune obligation de délai pour accorder ou refuser la délivrance de l’autorisation. « Certains demandeurs ont reçu leur autorisation plusieurs semaines après les dates indiquées de la mission. », nous révèle une source proche du Ministère de la Communication. La délivrance du précieux sésame n’est pas gratuit, d étrompez-vous ! Il faut débourser 45 000 francs CFA, soit environ 70 euros, correspondants aux frais d’établissement de l’autorisation d’entrée.

Comment peut-on vouloir donc vendre une destination et ne pas faciliter l’accès aux hommes des médias étrangers qui peuvent par ailleurs être des touristes, hommes d’affaires ou des émissaires ? « On appelle pas un chien avec un bâton à la main », dit-on communément.